mardi 16 janvier 2007

Un jour une lettre


Un jour une lettre est venue gratter à ma porte, comme ça, l'air de rien. Courte sur pattes et frêle comme un fêtu de paille, elle n'avait pu sonner, ni frapper, juste gratter. J'ouvris, inspectai l'horizon, et, tout en maudissant déjà quelque garnement, m'apprêtais à refermer quand dans ses habits trop amples, elle toussota.
- Je suis là, fit-elle d'une voix aussi triste qu'inaudible.
Je m'accroupis et lui offris ma paume. Elle prit appuie sur le long de mon pouce, énormité rongée et cramoisie, et se retrouva au sommet de cette arête dangereuse. Elle soupira et se laissa glisser au creux de ma main.
- Ouf, l'entendis-je souffler.
Ma main se fit ascenseur, mais le plus lentement possible sembla déjà trop rapide car mon hôte parut ébouriffée. Elle fit bientôt face à mon gros oeil marron. Il ne sembla pas l'effrayer outre mesure.
Je me demandai si, face à celui, mettons, d'un T-Rex, j'aurais adopté la même quiétude. Mourir pour mourir, me dis-je aussitôt, autant éviter d'exploser moi-même mes propres tympans.
Je lui souris. Elle fit de même.
C'était un A. Initiale d'une histoire nouvelle, pic à la verticale telle une fusée, dessin raté de la partie inférieure d'un personnage, elle pouvait être tout cela à la fois. Ses habits, en réalité, n'étaient que charpie noirâtre, sorte de voile pudique partant de la tête et s'arrêtant à mi-cuisse. Elle me fit penser à une fille afghane. Je ne discernais ni ses yeux ni sa bouche. En avait-elle seulement ?
Je lui aurais volontiers proposer quelque chose à boire mais va savoir si une lettre, ça boit. Un O, comme un D, ou un Q pas de problème, ils boiraient peut-être avec raison craignant de se noyer, voire un B, qui pourrait marcher les jambes lourdes et l'esprit serein, mais un A ? Comme un P, il risquerait de tituber aussitôt, même sans alcool. Il deviendrait hydrocéphale et mourrait. Que donnerait un... biscuit ? Je lui en proposai une menue portion mais elle déclina mon offre, poliment mais fermement. Bon.
Peut-être qu'une lettre ne se nourrit pas, après tout. Qu'elle se suffit à elle-même.
Nous entrâmes, je lui fis visiter mon chez-moi aux tapisseries sans motifs et aux pièces exigües. Elle parut ravie, solidement ancrée au centre de ma ligne de vie ; elle ne parla cependant pas.
Enfin, nous retrouvâmes mon vestibule et je dus avouer, penaud et presque de manière inaudible eu égard à ses tympans que j'imaginais toujours fragiles, que je ne savais plus trop quoi faire. Sorte de grand couillon mortifère, seul dans son entrée, mais avec une lettre au creux de la main, invitée surprise d'une fête impossible.
Elle me fit alors part de son souhait. Je frémis d'angoisse. La peur du ridicule, non, je l'avais dépassée depuis le jour où, pour mon premier jour au collège, devant près de mille élèves incrédules, je m'étais lamentablement ramassé en trébuchant sur cette satanée marche que tous avaient vu, sauf moi. Et j'avais survécu, preuve que le ridicule ne tue pas. Mais l'angoisse oui. A petits feux. Puis, lorsque vous êtes à l'agonie, elle repart comme si de rien n'était. Irréductible, insensée, nauséabonde. Infaiilible, décidant seule de ses dates de réquisition et de sortie de mon cerveau asservi ; oui.
Pour farfelu qu'il fût, son souhait, la seconde suivante, me séduisit, m'enthousiasma même.
Je requis simplement un petit peu de temps avant de la satisfaire. Indifférente, elle accepta. L'essentiel étant le résultat. Nous en convînmes aisément.
Je me mis au travail, elle, tranquilement installée dans mon fauteuil devant "Les Feux de l'Amour", patientant. Je crus déceler quelques sanglots mais je n'en fis de cas. Après tout, une lettre a bien aussi le droit d'être émue par les rocambolesques mésanventures de gars et de filles ayant échappé, approximativement, un million de fois aux pires machinations de l'amour.
Moi, la mienne serait simple.
Je répondis à son voeu assez rapidement. Elle voulait en effet être l'héroïne première, initiale, d'une histoire d'amour tragique. Je la saisis au vol, à la fin de l'épisode, et la plaquai subitement sur une feuille blanche, immaculée. Elle sourit d'aise, mais, l'oeuvre achevée, se figea pour l'Eternité.
Mon chef d'oeuvre serait d'une limpidité exquise, mêlant les différentes étapes d'une histoire, la rencontre, la séduction, la passion des corps et la rupture poignante des âmes, en deux mots : A JAMAIS.

Séb, Nancy, le 16 janvier 2007.

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