(source image : http://bd.livres.poesie.nanook-world.com/article.php3?id_article=159)
La Fin du Monde est prévue pour ce soir. Ils l'ont annoncée ce matin à la radio. Les cons. Ils auraient mieux fait de ne rien dire et hop on se serait tous envoyés en l'air entre la goutte et la météo. Là, c'est le bordel, vraiment.
Les réseaux sont saturés. Presque plus de lignes téléphonique, les cyber cafés sont pris d'assaut, quand les propriétaires n'ont pas fui, les autoroutes peinent à supporter le poids des véhicules. En plus, il fait une chaleur de chien. Les cons. Feraient mieux de rester chez eux, de se faire une réussite ou un solitaire sur leur ordinateur, d'aller se promener une dernière fois là où il n'y a personne - sur une plage ou au milieu des arbres - ou même, soyons fous, de se jeter d'une falaise s'ils ont à ce point peur de ce qui va arriver ce soir. Mais non.
Ils rejoignent leur famille ou leur amour de jeunesse à l'autre bout du pays, ils tentent même parfois de les appeler en roulant - mais eux ne sont pas joignables, parce qu'ils cherchent eux-mêmes à joindre d'autres personnes. Feraient mieux de tous niquer une dernière fois avec le premier venu, au lieu de perdre leur temps dans les embouteillages. Les cons.
Faut causer des médias aussi. Pas tous à foutre dans le même sac, pour une fois.
Il y a les chaînes de télé et les stations de radio qui, carrément, n'émettent plus ou ont choisi de diffuser, ce qui est sans doute pire si l'on pense aux personnes grabataires qui n'ont plus la force de se lever pour aller éteindre le poste quand le personnel a foutu le camp, de diffuser donc, et en boucle, un bon vieux Derrick ou le dernier album de Lara Fabian.
Il y a aussi les stations qui n'y croient pas et font comme si de rien n'était - quoique les émissions prévues en direct aient été supprimées au profit de programmes enregistrés. Moi, je prends le pari que c'est encore un jeune stagiaire même pas payé qui est chargé de rester derrière ses platines, jusqu'à ce que mort s'ensuive, tandis que les chefs fuient sur les routes avec une malette sous le bras. Mais bon, ces stations sont ultra-minoritaires. Il n'y en a qu'une, en fait.
Enfin, il y a celles qui ont "bouleversé leurs programmes pour couvrir l'Evénement", comme ils disent, politiquement correct oblige, pour ne pas dire "émissions spéciales avec envoyés spéciaux, invités en plateau, et tout et tout, jusqu'à la Fin du Monde, qui est prévue pour ce soir, en fait, à 20h10, oui, juste avant "Plus belle la Vie", on a vraiment pas de chance !" C'est plus court de dire juste "l'Evénement".
Les envoyés spéciaux sont comiques - comme des pantins à qui on aurait arrachés leurs fils. Je m'explique. Un pantin, tu vois, ça ne réfléchit pas, bin non, pas besoin. Parce qu'il a un mec, il le sait, au-dessus de lui, qui lui dit quoi faire. Comme un journaliste, on lui dit quoi dire. Mais là, le gars, il est livré à lui-même. Et il est perdu. Alors, il laisse son ego s'exprimer - oui, c'est moi qu'on écoute, bon Dieu ! moi seul ! Il pourrait avoir envie de rejoindre quelqu'un, mais non, il sait que la ménagère de moins de cinquante ans et son petit fils l'écoutent religieusement, et ça le fait kiffer comme jamais, donc il fait du pillage de la boulangerie du coin le plus grand événement qui ne se soit jamais produit. Le con. Au lieu de se dire, et de le dire au caméraman encore plus con - parce que, lui, vu qu'on ne le voit pas, il pourrait dire démerde-toi au gars avec le micro, mais non - donc au lieu de se dire qu'il ne sert à rien et avoir envie de dégager fissa, même si aucun endroit sur Terre n'échappera au Grand Final, il reste. Le con.
Les invités en plateau, tout docteurs qu'ils soient, ne peuvent que répéter qu'on ne l'a pas vue venir, que c'est comme ça, que la Bible avait raison, et voilà, bien le bonsoir, je vais prendre ma tisane et au lit.
Ils auraient mieux fait d'inviter des artistes, au moins on aurait délirer et ça aurait été une belle mort. Mais non. Face au drame absolu, encore et toujours des intellos pour nous les briser. Les cons.
(source image : http://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/243967399/)
On repasse aussi en boucle les adieux des différents chefs d'Etats, enregistrés le plus souvent quelques jours avant, histoire de se mettre à l'abri dans quelque bunker supposé pouvoir résister à tout - même si là, les experts ont dit que non. Ils sont désolés et, pour une fois, même dans les pays les moins religieux, on recommande les âmes de nos compatriotes au Grand Bonhomme. Les plus religieux, eux, alternent entre fatalisme - n'essayez même pas de fuir, contentez-vous de prier pour laver vos pêchés plus blanc que blanc, bande de cons - et espoir (on ne sait jamais, avec deux Ave Maria et trois Chari'ah, et ça peut passer en serrant bien les fesses).
Et il y a moi.
Je savais que ce 21 décembre 2012 serait le dernier jour accordé à notre planète. Bin oui. Il suffisait de s'intéresser à la civilisaton maya pour le savoir.
Alors j'ai agi en connaissance de cause. Pendant des années j'ai travaillé, j'ai aimé, j'ai produit, je me suis reproduit même, et là, depuis un an, je claque tout : j'ai voyagé, j'ai goûté à la luxure sur tous les continnents - même en Antarctique avec une Esquimaude à la peau flétrie, mais bon, au moins j'ai coché sa ligne.
J'ai tué aussi, histoire de voir ce que ça faisait. Dans une rue de Rio, un coup de couteau dans le dos d'un passant. Je lui ai demandé si ça faisait mal de mourir - il ne m'a même pas répondu, vraiment mort pour rien. Le con.
J'ai essayé toutes les drogues aussi. Bof bof. Je ne vois pas pourquoi on en fait un si grand Eldorado. Autant t'endormir et suivre attentivement tes rêves, tu délireras pareil.
Comme je n'avais plus de liquidités, j'ai emprunté un peu à tout le monde : à une dizaine de banques, à des caïds aux zizis très longs, si j'en juge par la taille de leurs mitraillettes, à des femmes séduites mais suffisamment éloignées les unes des autres pour se croire uniques - les connes - et à des gens à qui je faisais croire que mon enfant, unique, avait la rage et qu'il fallait l'opérer d'urgence au Kenya - seul pays à réaliser ce genre d'opération, précisai-je pour être sûr d'arnaquer les plus cons des plus cons et donc, ainsi, d'avoir moins de remords.
Et nous y voilà. Encore deux minutes.
Je suis assis sur un banc. Derrière moi, des gens se sont réfugiés dans une église. Les cons. La comète ne va pas rebondir sur le clocher comme par magie. Au moins, ils sont plus silencieux que ces grands benêts qui n'ont vraiment rien compris et qui continuent de piller le centre ville, avec lecteurs dvd, consoles de jeux ou écran dernière génération sous le bras, avant de les charger dans le coffre d'une bagnolle volée chez BMW. Qu'espèrent-ils ? Les revendre ou jouer une dernière fois à PES avant la fin ?
J'ai passé ma journée à observer mes semblables, à essayer, une dernière fois, de les comprendre. Mais je n'y arriverai jamais. Ils sont trop différents les uns des autres et, surtout, trop prisonniers de leurs certitudes et de leurs instincts, pour que quiconque puisse émettre une théorie cohérente à leur sujet. C'est peut-être pour ça que le Grand Architecte, s'il existe, a décidé d'appuyer, ce soir, sur "reset". Peut-être espére-t-il qu'on sera moins cons s'il nous reconstruit avec nos cendres.
Tiens, on la voit bien la comète. Encore trente secondes et hop, salut tout le monde, on s'appelle et on se fait une bouffe là-haut. Aucune main gigantesque ne viendra la boxer. Dieu s'en branle de nous, en fait. On peut se faire violer, tuer, démembrer, ou simplement crever de faim, ça lui est égal. Preuve soit qu'il n'existe pas, soit que c'est vraiment un charlatan de la bonté.
(source image : http://www.tcsdaily.com/article.aspx?id=091106A)
Mais...
J'ai bien senti une petite secousse, mais... Elle est où la grande explosion avec laquelle on nous rabâche les oreilles depuis ce matin ? Et la lame de fonds planétaire qui devait masquer les étoiles et tout et tout ? On les voit encore.
Je me lève et vais interroger une rescapée cathodique en devanture. Un jeune homme tient encore son micro et il vient seulement de constater que l'heure fatidique est dépassée de deux minutes. Il interroge la nature du regard. Une femme court vers lui, l'embrasse à pleine bouche, et lui crie dans les tympans que Dieu ne nous a pas abandonnés, qu'il a renoncé à cet Apocalypse. Il nous a rachetés une seconde fois, à nous de ne plus le décevoir !
Un scientifique, sorti d'on ne sait où, prend alors la parole en plateau - décidément ! - et explique qu'il croit connaître la raison de cet "échec", dit-il. Personne ne relève. Tiens. L'atmosphère terrestre a sans doute sufisamment désagrégé la comète pour qu'elle ne représente plus de danger. Si ce n'est une légère secousse sismique et un tout petit tsunami de rien du tout, comme le montre à présent quelques caméras à l'autre bout de la planète.
Les gens sortent de chez eux, de leurs voitures, des lieux de culte, et se mettent à pleurer et à s'embrasser. Palestiniens et Israéliens, qui communiaient dans la prière, font de même. Les cols blancs tombent dans les bras des diseuses de bonne aventure, des putes ou des clochards.
Et moi je rejoins mon banc. Qu'est-ce que je vais dire aux gens à qui je dois tout cet argent ?
Je vérifie que mon barillet est encore chargé.
Adieu.
(source image : http://www.1000nouvelles.com/Luis/suicide.html)
Séb.
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