jeudi 3 mai 2007

texte de Séb sur la parano

- Je les entends même respirer, je vous dis. Vous n'entendez rien ?

Le vieil alcoolique, en boule au fond de la cellule, n'avait plus la force de seulement ouvrir les yeux en direction de la jeune femme assise en indienne à cinq mètres de lui. Si, pensa-t-il tout de même, l'on commence à ramasser les folles à la mode Jeanne d'Arc, on ne sera plus tranquilles nulle part. Même en cellule !

- Non, ajouta-t-elle, vous ne pouvez plus rien entendre après tout ce que vous vous êtes envoyé derrière la cravatte ! Pfff...

Le brigadier, lui, avait opté pour des boules qui ès. Marre de cette alumée et de ses hallu. C'était toujours comme ça les petites bourgeoises sous acide : elles se prenaient toutes pour la Pucelle d'Orléans. Dès l'aube, elle rejoindrait ses pénates avec une convocation devant le juge.
(source image : http://www.lyon.fr)

Comme prévu, dès les premières lueurs du jour, on la libéra. Elle prit la direction de son appartement. Mais les voix ne la quittaient pas, même en plaquant ses paumes très fort sur ses oreilles !
Elle devait très vite appelé son psy !
La messagerie de celui-ci lui apprit qu'il était en congés. Prière de rappeler sous huit jours !

Alors, elle comprit. Tout devint limpide. Il était avec eux et ses pillules ne faisaient qu'accroître l'emprise qu'ils espéraient avoir sur elle ! Mais elle ne s'en laisserait pas compter, oh non !
Avec ses 47 kg toute mouillée et son mètre cinquante-deux, elle se sentait la vigueur d'un champion poids-lourds.
Puis non, elle se ravisa. Il lui avait fourni les preuves de son intégrité.
Cela faisait presque deux ans qu'ils en avaient après elle. Au début, elle avait mis ces voix sur le compte du surmenage et son licenciement économique sur celui de la mondialisation. Mais maintenant !
Elle ne pouvait plus sortir acheter son journal sans qu'un passant ou le vendeur ne la regarde en fronçant les sourcils. Comme s'ils se disaient : " Ils ont raison, il faut la surveiller de près, elle en sait trop !"

Car ses voix, en effet, lui dévoilaient des choses surprenantes. Par exemple, elle se rendit en forêt de Fontainebleau où devait être caché, enfoui sous les racines d'un arbre tricentenaire, le Secret de la Trinité ou sinon, avaient dit les voix, le trésors des Cathares. Elles n'étaient pas certaines de leurs sources. Au final, après avoir creusé six bonne heures, il n'y avait rien eu à deux mètres de profondeur. Si ce n'est une douille de la Seconde Guerre Mondiale et un colier d'enfant. Aucun rapport, donc, avec la smala promise.
Les voix admirent, contrites, qu'elles avaient pu être induites en erreur.

(source image : http://www.ez2link.be/esoterisme/esote.html)

Mais le regard des gens changea très vite. Ses voisins, sa concierge, sa famille et ses amis même, tous très vite trouvèrent des prétextes pour ne pas honorer bun sourire ou un rendez-vous. Tous donc, elle en était convaincue, étaient "avec eux", ceux que les voix désignaient comme "les ennemis de la Vérité".



Seul son psy, donc, l'écoutait patiamment et avait tiqué à l'annonce de ses lectures favorites. Il lui avait conseillé d'arrêter de dévorer les romans, les thèses, les articles, et autres essais traitant d'ésotérisme, de complots (inter)planétaires et autres Graal et trésors des Cathares honteusement soustraits par l'abbée Saunières à la planète entière.
Elle avait mis six mois à se persuader qu'il nétait pas, lui aussi, avec eux. Il avait, pour cela, exhiber son arbre généalogique jusqu'au milieu du 17ème siècle et un obscure fermier du Lubéron qui préparait une longue lignée d'illustres inconnus, tantôt infirmes de naissance ou de guerre, souvent illettrés, et toujours sans rapport aucun avec le moindre mystère. Lui-même ne s'expliquait pas comment, avec un tel patrimoine génétique, il avait pu réussir sa vie. Il avait fait cette enquête pour lui prouver que les idées qu'elle se faisait ne reposaient sur rien de concret, avait-il dit, mais surtout parce qu'il avait trouvé cet arbre aux Puces et que l'idée lui était venue pour avancer dans la thérapie.
Il avait alors certes gagné sa confiance mais ne pouvait pas, sous le manteau évidemment, demandé pareille enquête à chacun de ses proches pour la ramener à la réalité ! L'astuce pouvait être éventée, bien sûr, mais surtout il n'était pas à l'abri d'une quelconque lignée bleue dans les veines d'un seul ami !

(source image : http://archive.lien-social.com/dossiers2002/611a620/615-2.htm)

Et là, aujourd'hui, il était en vacances. Que faire ? se demanda-t-elle.

Les voix lui répondirent. Elle devait danser toute nue sur le kiosque du Jardin du Luxembourg.
Elle s'y rendit peu avant midi et devant une assistance médusée, découvrit son anatomie, du reste avantageuse, en disposant soigneusement jupe, chemisier, string et chaussettes sur une chaise en fer. Elle dansa alors toute seule, jusqu'à ce que la maréchaussée ne la saisisse et ne la conduise au fourgon, une veste bleue marine pour costume, qui stationnait à deux pas du Panthéon.

A l'intérieur de quelques tombes célèbres, justement, des petits génies qui s'ennuyaient se félicitèrent :
- Quand même ! dit l'un d'eux. Elle fut coriace mais on a réussi ! Allez, à la suivante !!!

02/04/07
Séb.

1 commentaire:

Matthieu Fernandez a dit…

Bien sympas ton texte Séb ! Un autre un autre un autre ! En tout cas t'as bien trippé sur le kiosque du jardin du Luxembourg ! Erf !